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Alexandre Bleach est mort

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Vernon Subutex et Alex Bleach se connaissent depuis plusieurs années. Un soir, Alex, célèbre chanteur de rock et dépendant à la drogue, décide sur un coup de tête de filmer son testament. Vernon sera le seul détenteur des cassettes de celui-ci. Il sera, tout au long du roman, recherché par plusieurs personnes qui n’ont qu’une seule idée en tête : être le premier à découvrir ce que cache ce fameux enregistrement.

Alexandre Bleach est mort.

Vernon, en voyant son nom se répéter sur Facebook, ne percute pas tout de suite. On l’a retrouvé, mort, dans une chambre d’hôtel. Qui va payer ses loyers en retard ? C’est la première question que Vernon se pose. Les mails et textos qu’il a envoyés ces dernières semaines sont restés sans réponse. Ses appels à l’aide. Il avait l’habitude qu’Alex soit long à la détente. Vernon comptait sur lui. Comme chaque fois que la situation devenait critique. Alexandre finissait toujours par le dépanner. Vernon est assis devant son ordinateur des sentiments contradictoires ou étrangers les uns aux autres brassent sa poitrine, comme des chats lancés dans le même sac par une main agile et impitoyable.

Sur Internet, ça se répand comme une lèpre. Ça fait longtemps qu’Alexandre appartenait à tout le monde. Vernon pensait être habitué. Quand Alexandre sortait un disque ou commençait une tournée, impossible de l’ignorer. Pas une heure de la journée sans le voir exhibé, gigoter quelque part, débiter quelques inepties de sa belle voix grave de toxico crooner. Alexandre avait été touché par le succès comme on est percuté par un camion : il ne donnait pas trop l’impression d’en être sorti indemne. Son problème n’avait pas été la grosse tête, plutôt un désespoir violent, qui avait fatigué ses proches. Il est difficile de voir quelqu’un obtenir ce que tout le monde désire, et de devoir le consoler, en prime. Il n’y a pas encore de photos du macchabée dans sa chambre d’hôtel. Ça viendra. Alex est mort noyé. Dans une baignoire. Une coproduction champagne et médocs, il s’est endormi. Va savoir ce qu’il est allé foutre dans une baignoire, tout seul, dans un hôtel, en plein après-midi. Va savoir, de toute façon, ce qui rendait ce type si désespérément malheureux. Alex aura planté jusqu’à sa mort. L’hôtel est trop médiocre pour faire rêver, mais pas assez calamiteux pour que ce soit exotique. Ça lui arrivait souvent de prendre une chambre en ville pour quelques jours, il suffisait qu’il pense voir un photographe en bas de chez lui pour qu’il aille dormir ailleurs. Alex aimait vivre à l’hôtel. Il avait quarante-six ans. Qui attend le seuil de l’andropause pour partir d’overdose ? Michael Jackson, Whitney Houston… un truc de Black, peut-être.

Contributeur: Pulido-Regidor Whitney

Patrice et la violence conjugale

fear-1131143_1280Patrice est le genre d’homme à frapper sur ses compagnes. Après sa rencontre avec Cécile, il avait espéré avoir trouvé la bonne et était convaincu d’avoir échappé à tout cela. Pourtant, celui-ci est bel et bien dans un cercle vicieux sans fin, dans lequel la femme est le centre de ses problèmes. Elle boit ses belles paroles et ses promesses, subit le premier « accident », croit à ses excuses, et revient au cocon familial, pour finalement replonger dans les ennuis.

Patrice a toujours levé la main sur ses copines. Toutes. Il peut tirer une meuf un soir sans lui mettre une mandale, mais dès que ça devient une histoire, il y a la première claque. À force, c’est lui qu’elle marque le plus, la première. La meuf en face ne sait pas encore que c’est enclenché. Même quand elles ont eu dix histoires où dix fois elles se sont fait tabasser, les filles refusent de reconnaître qu’elles savent comment ça marche. Elles ont besoin de croire que c’était un accident. L’amour sera plus fort que la violence et transformera le mec violent en partenaire attentif. On se trouve, dans ces histoires, on se cherche, et on se trouve. Il n’est plus un gamin. Quand il rencontre une nouvelle fiancée, il s’écoute ouvrir les vannes aux belles promesses, aux cadeaux et aux compliments. Il se dupe, et elle se laisse duper. Cette fois, c’est la bonne, il a changé. Il suffit d’attendre. Première claque. Deux yeux écarquillés par la terreur lui disent qu’il n’y arrivera pas, et il réussit à se convaincre du contraire. La colère s’est invitée. Elle connaît le chemin, elle revient quand elle veut. Il corrigera cette fille. Elle le croira quand il jurera que ça ne recommencera pas. Il sera sincère. Il l’acculera dans un coin pour la cribler de coups, il la démolira, jusqu’à ce qu’elle parte. Et si elle ne part pas, il la tuera. Et chaque fois qu’il promettra qu’il regrette, il dira la vérité. Il cherche désespérément l’interrupteur, le déclic qui lui permettrait de garder le contrôle sur lui. La première baffe, avec Cécile, ça faisait dix mois qu’ils étaient ensemble et il était sûr d’avoir enfin trouvé la bonne, celle qui lui convenait. Avec elle, c’était différent. L’amour qu’il lui portait mêlait la confiance à l’excitation, la paix avec l’intensité – elle le rassurait, sans l’ennuyer. Il n’avait rien vu venir. Pourtant, il connaissait le scénario. Ça commence, les matins, par des monologues incendiaires – tout ce que Cécile ne faisait pas correctement, dans le couple, dans sa vie. Des arguments absurdes qui, sur le coup, paraissent valables. Et qu’il se répète, en boucle, jusqu’à être sûr de se faire avoir. Un jour, ça sort, elle pleure. Elle est surprise que l’homme qui passe son temps à lui répéter qu’il l’adore puisse avoir accumulé autant de rancœurs. Elle pleure et il s’excuse. Parce qu’une fois qu’elle est en larmes, ces mêmes arguments qui le rendaient furieux perdent leur évidence, il ne se souvient plus les avoir considérés comme justes. Mais quelque chose s’est mis en branle, un système de pensée destructrice, duquel il ignore comment descendre.

Contributeur: Harvent Laura

Patrice et la violence

Patrice est un ancien musicien qui vit seul sans sa femme et ses enfants. Il doit sa solitude à la colère et à la violence. Cette violence, qui est devenue un trait de sa personnalité, lui a en effet permis de réussir certaines choses dans sa vie.

C’était des conneries, ces groupes de parole. Ça n’allait jamais au cœur du problème : sans la colère, qu’est-ce qu’il devenait ? Un type qui se la ferme quand on lui vole la place de parking qu’il attend depuis dix minutes ? Une lavette qui ne répond pas quand un merdeux de quinze ans insulte sa meuf dans la rue ? Un pion muet quand son collègue lui laisse dix sacs de merde à répartir alors que c’est pas son taf à lui ? Toute la journée, il se faisait entuber. Quelle attitude devait-il adopter ? Siffloter en sachant qu’il appartenait à la classe sociale des punchingballs, des paillassons, des urinoirs ? Le mec du groupe disait toujours ça – qu’il ne fallait pas tout mélanger et mettre sur le même plan la politique, les sentiments et les petites frustrations. Va faire le tri. Un jour, il avait pris la parole, dans le groupe : si je renonce à la violence, qu’est-ce qui me reste ? […] Je n’ai pas de statut social. Je n’ai pas d’avenir professionnel. Si je renonce à la violence, à quel moment je me sens maître ? Franchement, qui respecte le prolo docile ? Il aime les bagarres dans les bars. Il aime la baston, depuis qu’il est petiot. L’année passée, dans le métro, il était assis à côté d’un gamin, un Black tout chétif tout sec, un gosse. Au moment de l’ouverture des portes deux autres gamins, du même âge, mais baraqués, étaient entrés dans la rame et s’étaient pointés directement sur lui, pour lui taxer sa thune et lui coller une correction. Deux grosses masses contre un tout petit, Patrice n’avait pas cherché à comprendre. Il les avait alpagués, il avait pris les deux et les avaient boxés à tour de rôle. Efficace. Ce jour-là, dans le métro, il avait été le héros – les gens autour de lui étaient contents d’avoir un psychopathe sous la main, personne ne pensait à l’envoyer dans un groupe de parole. Ils le félicitaient. La rame frisait l’ovation. À quel moment se sentirait-il vivant et bien dans sa peau, s’il n’avait plus la colère ?

Les fils de putes dans le groupe de parole étaient tous des enculés qui frappent leurs femmes, mais beaucoup d’entre eux n’osaient pas taper sur les hommes. Patrice, franchement, on pouvait lui reprocher tout ce qu’on voulait, mais pas d’être sélectif. Il tapait sur tout le monde. Ça lui plaisait – il n’avait peur de personne. Quand ça déboulait, il fallait que le monde cède, ça ne lui posait aucun problème de crever plutôt que se coucher.

[…]

Il avait aimé l’université. Les cours, la cafétéria, les syndicats, les fêtes et les examens. Tiens, encore un exemple : comment aurait-il obtenu une place en cité universitaire, gamin, s’il n’avait pas été violent ? C’est en faisant peur à tout le monde qu’il a obtenu, à l’époque, tout ce à quoi il avait droit. Sans quoi on l’aurait piétiné, comme on en piétinait tant d’autres, et il aurait abandonné.

Contributeur : Aiello Lisa