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Les Liaisons dangereuses – La condition féminine

Le Vicomte de Valmont et la Marquise de Merteuil sont deux anciens amants qui s’estiment, mais avec une part de perversion. Ils sont manipulateurs et ce sont leurs manipulations qui façonnent le roman. Dans la lettre suivante, nous découvrons les motivations de la Marquise.

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Azora, l’épouse indignée

Zadig constate que sa femme Azora est indignée. Elle n’accepte pas qu’une veuve, qui promit de rester auprès du tombeau de son défunt mari tant que le ruisseau s’écoulerait à proximité, puisse un jour détourner ce même ruisseau pour rompre son vpebbles-801952_640euvage. Cependant, par la ruse, Zadig lui prouvera qu’elle est capable de commettre un acte encore plus exécrable…

Un jour Azora revint d’une promenade, tout en colère, et faisant de grandes exclamations. Qu’avez−vous, lui dit−il, ma chère épouse? Qui vous peut mettre ainsi hors de vous−même? Hélas! dit−elle, vous seriez indigné comme moi, si vous aviez vu le spectacle dont je viens d’être témoin. J’ai été consoler la jeune veuve Cosrou, qui vient d’élever, depuis deux jours, un tombeau à son jeune époux auprès du ruisseau qui borde cette prairie. Elle a promis aux dieux, dans sa douleur, de demeurer auprès de ce tombeau tant que l’eau de ce ruisseau coulerait auprès. Eh bien! dit Zadig, voilà une femme estimable qui aimait véritablement son mari! Ah! reprit Azora, si vous saviez à quoi elle s’occupait quand je lui ai rendu visite! A quoi donc, belle Azora? Elle faisait détourner le ruisseau. Azora se répandit en des invectives si longues, éclata en reproches si violents contre la jeune veuve, que ce faste de vertu ne plut pas à Zadig. Il avait un ami, nommé Cador, qui était un de ces jeunes gens à qui sa femme trouvait plus de probité et de mérite qu’aux autres: il le mit dans sa confidence, et s’assura, autant qu’il le pouvait, de sa fidélité par un présent considérable. Azora ayant passé deux jours chez une de ses amies à la campagne, revint le troisième jour à la maison. Des domestiques en pleurs lui annoncèrent que son mari était mort subitement, la nuit même, qu’on n’avait pas osé lui porter cette funeste nouvelle, et qu’on venait d’ensevelir Zadig dans le tombeau de ses pères, au bout du jardin. Elle pleura, s’arracha les cheveux, et jura de mourir. Le soir, Cador lui demanda la permission de lui parler, et ils pleurèrent tous deux. Le lendemain ils pleurèrent moins, et dînèrent ensemble. Cador lui confia que son ami lui avait laissé la plus grande partie de son bien, et lui fit entendre qu’il mettrait son bonheur à partager sa fortune avec elle. La dame pleura, se fâcha, s’adoucit; le souper fut plus long que le dîner; on se parla avec plus de confiance. Azora fit l’éloge du défunt; mais elle avoua qu’il avait des défauts dont Cador était exempt. Au milieu du souper, Cador se plaignit d’un mal de rate violent; la dame, inquiète et empressée, fit apporter toutes les essences dont elle se parfumait, pour essayer s’il n’y en avait pas quelqu’une qui fût bonne pour le mal de rate. […] Êtes-vous sujet à cette cruelle maladie? lui dit−elle avec compassion. Elle me met quelquefois au bord du tombeau, lui répondit Cador, et il n’y a qu’un seul remède qui puisse me soulager: c’est de m’appliquer sur le côté le nez d’un homme qui soit mort la veille. Voilà un étrange remède, dit Azora. Pas plus étrange, répondit-il, que les sachets du sieur Arnoult contre l’apoplexie. Cette raison, jointe à l’extrême mérite du jeune homme, détermina enfin la dame. Après tout, dit−elle, quand mon mari passera du monde d’hier dans le monde du lendemain sur le pont Tchinavar, l’ange Asrael lui accordera−t−il moins le passage parce que son nez sera un peu moins long dans la seconde vie que dans la première? Elle prit donc un rasoir; elle alla au tombeau de son époux, l’arrosa de ses larmes, et s’approcha pour couper le nez à Zadig, qu’elle trouva tout étendu dans la tombe. Zadig se relève en tenant son nez d’une main, et arrêtant le rasoir de l’autre. Madame, lui dit-il, ne criez plus tant contre la jeune Cosrou; le projet de me couper le nez vaut bien celui de détourner un ruisseau.

Contributeur: Aiello Lisa

Connaître la matière

Micromégas et le Saturnien, arrivés sur la Terre, font la rencontre de curieux petits êtres avec qui ils entament la discussion. Ils viennent de rencontrer des hommes d’une nature bien particulière: des philosophes.solar-system-566537_640

Le voyageur se sentait ému de pitié pour la petite race humaine, dans laquelle il découvrait de si étonnants contrastes. « Puisque vous êtes du petit nombre des sages, dit-il à ces messieurs, et qu’apparemment vous ne tuez personne pour de l’argent, dites-moi, je vous en prie, à quoi vous vous occupez. Nous disséquons des mouches, dit le philosophe, nous mesurons des lignes, nous assemblons des nombres ; nous sommes d’accord sur deux ou trois points que nous entendons et nous disputons sur deux ou trois mille que nous n’entendons pas. Il prit aussitôt fantaisie au Sirien et au Saturnien d’interroger ces atomes pensants, pour savoir les choses dont ils convenaient. « Combien comptez-vous, dit-il de l’étoile de la Canicule à la grande étoile des Gémeaux ? » Ils répondirent tous à la fois : « trente-deux degrés et demi. Combien comptez-vous d’ici à la Lune ? Soixante demi-diamètres de la terre en nombre rond. Combien pèse votre air ? » Il croyait les attraper, mais tous lui dirent que l’air pèse environ neuf cents fois moins qu’un pareil volume de l’eau la plus légère, et dix-neuf cents fois moins que l’or de ducat. Le petit nain de Saturne, étonné de leurs réponses, fut tenté de prendre pour des sorciers ces mêmes gens auxquels il avait refusé une âme un quart d’heure auparavant. Enfin Micromégas leur dit : « Puisque vous savez si bien ce qui est hors de vous, sans doute vous savez encore mieux ce qui est en dedans. Dites-moi ce que c’est que votre âme, et comment vous formez vos idées. » Les philosophes parlèrent tous à la fois comme auparavant ; mais ils furent tous de différents avis. Le plus vieux citait Aristote, l’autre prononçait le nom de Descartes ; celui-ci, de Malebranche ; cet autre, de Leibnitz ; cet autre, de Locke. Un vieux péripatéticien dit tout haut avec confiance : « L’âme est une entéléchie, et une raison par qui elle a la puissance d’être ce qu’elle est. C’est ce que déclare expressément Aristote, page 633 de l’édition du Louvre. Ἐντελεχεῖα ἐστι. « Je n’entends pas trop bien le grec, dit le géant. Ni moi non plus, dit la mite philosophique. Pourquoi donc, reprit le Sirien, citez-vous un certain Aristote en grec ? C’est, répliqua le savant, qu’il faut bien citer ce qu’on ne comprend point du tout dans la langue qu’on entend le moins.» Le cartésien prit ici parole, et dit : « L’âme est un esprit pur qui a reçu dans le ventre de sa mère toutes les idées métaphysiques, et qui, en sortant de là, est obligée d’aller à l’école, et d’apprendre tout de nouveau ce qu’elle a si bien su, et quelle ne saura plus. Ce n’était donc pas la peine, répondit l’animal de huit lieues, que ton âme fût si savante dans le ventre de ta mère, pour être si ignorante quand tu aurais de la barbe au menton. Mais qu’entends-tu par esprit ? Que me demandez-vous là ? dit le raisonneur ; je n’en ai point d’idée ; on dit que ce n’est pas de la matière. Mais sais-tu au moins ce que c’est que de la matière ? Très bien, répondit l’homme. Par exemple cette pierre est grise, et d’une telle forme, elle a ses trois dimensions, elle est pesante et divisible. Eh bien ! dit le Sirien, cette chose qui te paraît être divisible, pesante et grise, me dirais-tu bien ce que c’est ? Tu vois quelques attributs ; mais le fond de la chose, le connais-tu ? Non, dit l’autre. Tu ne sais donc point ce que c’est que la matière.»

Contributeur: Tenaerts Naomi

Pococurante ou l’ennui

Candide et Martin parviennent au palais du noble Pococurante, homme d’une soixantainesand-918837_640 d’années, extrêmement riche. Ils découvrent avec stupéfaction que celui-ci s’ennuie de tout, de la grande musique classique, des tableaux de renommée et même des jolies femmes qui habitent son palais.

D’abord deux filles jolies servirent du chocolat, qu’elles firent très-bien mousser. […] « Ce sont d’assez bonnes créatures, dit le sénateur Pococurante ; je les fais quelquefois coucher dans mon lit : car je suis bien las des dames de la ville, de leurs coquetteries, de leurs jalousies, de leurs querelles, de leurs humeurs, de leurs petitesses, de leur orgueil, de leurs sottises, et des sonnets qu’il faut faire ou commander pour elles ; mais, après tout, ces deux filles commencent fort à m’ennuyer. »

Candide, après le déjeuner, se promenant dans une longue galerie, fut surpris  de la beauté des tableaux. Il demanda de quel maître étaient les deux premiers. « Ils sont de Raphaël, dit le sénateur ; je les achetai fort cher par vanité, il y a quelques années […], mais ils ne me plaisent point du tout : la couleur en est très-rembrunie,  les figures ne sont pas assez arrondies, et ne sortent point assez ; les draperies ne ressemblent en rien à une étoffe : en un mot, quoi qu’on en dise, je ne trouve point là une imitation vraie de la nature. Je n’aimerai un tableau que quand je croirai voir la nature elle-même : il n’y en a point de cette espèce. J’ai beaucoup de tableaux, mais je ne les regarde plus. »

Pococurante, en attendant le dîner, se fit donner un concerto. Candide trouva la musique délicieuse. « Ce bruit, dit Pococurante, peut amuser une demi-heure ; mais s’il dure plus longtemps, il fatigue tout le monde, quoique personne n’ose l’avouer.

[…] Candide, en voyant un Homère magnifiquement relié, loua l’illustrissime sur son bon goût. « Voilà, dit-il, un livre qui faisait les délices du grand Pangloss, le meilleur philosophe de l’Allemagne. — Il ne fait pas les miennes, dit froidement Pococurante ; […] cette répétition continuelle de combats qui se ressemblent tous, ces dieux qui agissent toujours pour ne rien faire de décisif, cette Hélène qui est le sujet de la guerre, et qui à peine est une actrice de la pièce ; cette Troie qu’on assiège, et qu’on ne prend point : tout cela me causait le plus mortel ennui. […] Tous les gens sincères m’ont avoué que le livre leur tombait des mains, mais qu’il fallait toujours l’avoir dans sa bibliothèque, comme un monument de l’antiquité. […]

— Votre excellence ne pense pas ainsi de Virgile ? dit Candide. — Je conviens, dit Pococurante, que le second, le quatrième, et le sixième livre de son Énéide, sont excellents ; mais pour son pieux Énée, et le fort Cloanthe, […] je ne crois pas qu’il y ait rien de si froid et de plus désagréable. J’aime mieux le Tasse et les contes à dormir debout de l’Arioste.

— Oserais-je vous demander, monsieur, dit Candide, si vous n’avez pas un grand plaisir à lire Horace ? — Il y a des maximes, dit Pococurante, dont un homme du monde peut faire son profit, […] mais je me soucie fort peu de son voyage à Brindes, et de sa description d’un mauvais dîner, et de la querelle de crocheteurs entre je ne sais quel Pupilus dont les paroles étaient pleines de pus, et un autre dont les paroles étaient du vinaigre.  […] Les sots admirent tout dans un auteur estimé. Je ne lis que pour moi : je n’aime que ce qui est à mon usage. Candide, qui avait été élevé à ne jamais juger de rien par lui-même, était fort étonné de ce qu’il entendait ; et Martin trouvait la façon de penser de Pococurante assez raisonnable.

Contributeur: Kaptue Wilfried

L’amour plutôt que l’amitié

Le vicomte de Valmont, plus décidé que jamais à conquérir la présidente de Tourvel, ne cesse de lui envoyer des lettres malgré le souhait de celle-ci de ne plus être ennuyée par les avances accablantes du vicomte. Refusant la proposition de celle-ci de devenir son ami, Valmont va alors lui envoyer une lettre prétendant exprimer son ressenti et son amour.

LETTRE LXVIII

LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL

Comment répondre, Madame, à votre dernière Lettre ? Comment oser être vrai, quand ma sincérité peut me perdre auprès de vous ? N’importe, il le faut ; j’en aurai le courage. Je me dis, je me répète, qu’il vaut mieux vous mériter que vous obtenir ; et dussiez−vous me refuser toujours un bonheur que je désirerai sans cesse, il faut vous prouver au moins que mon cœur en est digne. Quel dommage que, comme vous le dites, je sois revenu de mes erreurs ! avec quels transports de joie j’aurais lu cette même Lettre à laquelle je tremble de répondre aujourd’hui ! Vous m’y parlez avec franchise, vous me témoignez de la confiance, vous m’offrez enfin votre amitié : que de biens, Madame, et quels regrets de ne pouvoir en profiter ! Pourquoi ne suis−je plus le même ? Si je l’étais en effet ; si je n’avais pour vous qu’un goût ordinaire, que ce goût léger, enfant de la séduction et du plaisir, qu’aujourd’hui pourtant on nomme amour, je me hâterais de tirer avantage de tout ce que je pourrais obtenir. Peu délicat sur les moyens, pourvu qu’ils me procurassent le succès, j’encouragerais votre franchise par le besoin de vous deviner ; je désirerais votre confiance, dans le dessein de la trahir ; j’accepterais votre amitié dans l’espoir de l’égarer. Quoi ! Madame, ce tableau vous effraie ? hé bien ! il serait pourtant tracé d’après moi, si je vous disais que je consens à n’être que votre ami. Qui, moi ! je consentirais à partager avec quelqu’un un sentiment émané de votre âme ? Si jamais je vous le dis, ne me croyez plus. De ce moment je chercherai à vous tromper ; je pourrai vous désirer encore, mais à coup sûr je ne vous aimerai plus. Ce n’est pas que l’aimable franchise, la douce confiance, la sensible amitié, soient sans prix à mes yeux. Mais l’amour ! l’amour véritable, et tel que vous l’inspirez, en réunissant tous ces sentiments, en leur donnant plus d’énergie, ne saurait se prêter, comme eux, à cette tranquillité, à cette froideur de l’âme, qui permet des comparaisons, qui souffre même des préférences. Non, Madame, je ne serai point votre ami ; je vous aimerai de l’amour le plus tendre, et même le plus ardent, quoique le plus respectueux. Vous pourrez le désespérer, mais non l’anéantir. De quel droit prétendez−vous disposer d’un cœur dont vous refusez l’hommage ? Par quel raffinement de cruauté, m’enviez−vous jusqu’au bonheur de vous aimer ? Celui−là est à moi, il est indépendant de vous ; je saurai le défendre. S’il est la source de mes maux, il en est aussi le remède. Non, encore une fois, non. Persistez dans vos refus cruels ; mais laissez−moi mon amour. Vous vous plaisez à me rendre malheureux ! eh bien ! soit ; essayez de lasser mon courage, je saurai vous forcer au moins à décider de mon sort ; et peut−être, quelque jour, vous me rendrez plus de justice. Ce n’est pas que j’espère vous rendre jamais sensible : mais sans être persuadée, vous serez convaincue, vous vous direz : Je l’avais mal jugé. Disons mieux, c’est à vous que vous faites injustice. Vous connaître sans vous aimer, vous aimer sans être constant, sont tous deux également impossibles ; et malgré la modestie qui vous pare, il doit vous être plus facile de vous plaindre, que de vous étonner de sentiments que vous faites naître. Pour moi, dont le seul mérite est d’avoir su vous apprécier, je ne veux pas le perdre ; et loin de consentir à vos offres insidieuses, je renouvelle à vos pieds le serment de vous aimer toujours.

Contributeur: Kuprowski Jeremy

Les Liaisons dangereuses – La philosophie de Mme de Merteuil

La marquise de Merteuil explique au vicomte de Valmont son parcours et l’origine de son libertinage. Les vices deviennent pour elles des moyens acceptables pour les fins qu’elle s’est fixées. Prévan en fera les frais.

[…] n’avez-vous pas dû en conclure que, née pour venger mon sexe et maîtriser le vôtre, j’avais su me créer des moyens inconnus jusqu’à moi ?

Ah ! gardez vos conseils et vos craintes pour ces femmes à délire et qui se disent à sentiment ; dont l’imagination exaltée ferait croire que la nature a placé leurs sens dans leur tête ; qui, n’ayant jamais réfléchi, confondent sans cesse l’amour et l’amant

[…]

Mais moi, qu’ai-je de commun avec ces femmes inconsidérées ? Quand m’avez-vous vue m’écarter des règles que je me suis prescrites et manquer à mes principes ? Je dis mes principes, et je le dis à dessein, car ils ne sont pas, comme ceux des autres femmes, abandonnés au hasard, reçus sans examen et suivis par habitude : ils sont le fruit de mes profondes réflexions ; je les ai créés et je puis dire que je suis mon ouvrage.

[…]

La maladie de M. de Merteuil vint interrompre [mes] douces occupations ; il fallut le suivre à la ville où il venait chercher des secours. Il mourut, comme vous savez, peu de temps après, et quoique à tout prendre, je n’eusse pas à me plaindre de lui, je n’en sentis pas moins vivement le prix de la liberté qu’allait me donner mon veuvage, et je me promis bien d’en profiter.

Ma mère comptait que j’entrerais au couvent ou reviendrais vivre avec elle. Je refusai l’un et l’autre parti et tout ce que j’accordai à la décence fut de retourner dans cette même campagne, où il me restait bien encore quelques observations à faire.

Je les fortifiai par le secours de la lecture ; mais ne croyez pas qu’elle fût toute du genre que vous la supposez. J’étudiai nos mœurs dans les romans, nos opinions dans les philosophes ; je cherchai même dans les moralistes les plus sévères ce qu’ils exigeaient de nous et je m’assurai ainsi de ce qu’on pouvait faire, de ce qu’on devait penser et de ce qu’il fallait paraître. Une fois fixée sur ces trois objets, le dernier seul présentait quelques difficultés dans son exécution : j’espérai les vaincre et j’en méditai les moyens.

[…]

Cependant ma conduite précédente avait ramené les amants, et pour me ménager entre eux et mes infidèles protectrices, je me montrai comme une femme sensible, mais difficile, à qui l’excès de sa délicatesse fournissait des armes contre l’amour

Alors je commençai à déployer sur le grand théâtre les talents que je m’étais donnés. Mon premier soin fut d’acquérir le renom d’invincible. Pour y parvenir, les hommes qui ne me plaisaient point furent toujours les seuls dont j’eus l’air d’accepter les hommages. Je les employais utilement à me procurer les honneurs de la résistance, tandis que je me livrais sans crainte à l’amant préféré. Mais celui-là, ma feinte timidité ne lui a jamais permis de me suivre dans le monde, et les regards du cercle ont été ainsi toujours fixés sur l’amant malheureux.

[…]

qu’après m’être autant élevée au-dessus des autres femmes par mes travaux pénibles, je consente à ramper comme elles dans ma marche, entre l’imprudence et la timidité ; que surtout je pusse redouter un homme au point de ne plus voir mon salut que dans la fuite ? Non, vicomte, jamais ! Il faut vaincre ou périr. Quant à Prévan, je veux l’avoir et je l’aurai.

Contributeur: Chieco Élodie