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Le Misanthrope – La misanthropie, précisément

Difficile d’être misanthrope dans une société vouée aux plaisirs de la société. Alceste nous livre ici la profondeur de son sentiment. La misanthropie d’Alceste souffre-t-elle quelque exception?

Non, elle est générale, et je hais tous les hommes,Résultat de recherche d'images pour "misanthrope"

Les uns parce qu’ils sont méchants et malfaisants,

Et les autres pour être aux méchants complaisants,

Et n’avoir pas pour eux ces haines vigoureuses

Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.

De cette complaisance on voit l’injuste excès

Pour le franc scélérat avec qui j’ai procès ;

Au travers de son masque on voit à plein le traître,

Partout il est connu pour tout ce qu’il peut être,

Et ses roulements d’yeux et son ton radouci

N’imposent qu’à des gens qui ne sont point d’ici.

On sait que ce pied-plat, digne qu’on le confonde ,

Par de sales emplois s’est poussé dans le monde ,

Et que par eux son sort, de splendeur revêtu,

Fait gronder le mérite et rougir la vertu.

Quelques titres honteux qu’en tous lieux on lui donne,

Son misérable honneur ne voit pour lui personne :

Nommez-le fourbe, infâme et scélérat maudit,

Tout le monde en convient et nul n’y contredit.

Cependant sa grimace est partout bienvenue ;

On l’accueille, on lui rit, partout il s’insinue,

Et, s’il est, par la brigue, un rang à disputer,

Sur le plus honnête homme on le voit l’emporter.

Têtebleu! Ce me sont de mortelles blessures

De voir qu’avec le vice on garde des mesures

Et parfois il me prend des mouvements soudains

De fuir dans un désert l’approche des humains.

Acte I, Scène I

Contributrice: Ates Dilay

Phèdre – L’aveu de Phèdre

Phèdre, consciente du scandale de son amour, peine à l’avouer. Il faudra toute l’insistance de sa confidente, Œnone, pour qu’advienne l’aveu.

ŒNONE

Que faites-vous, Madame ? Et quel mortel ennui
Contre tout votre sang vous anime aujourd’hui ?

PHÈDRE

Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable
Je péris la dernière et la plus misérable.

ŒNONE

Aimez-vous ?

PHÈDRE

De l’amour j’ai toutes les fureurs.

ŒNONE

Pour qui ?

PHÈDRE

Tu vas ouïr le comble des horreurs.
J’aime… à ce nom fatal, je tremble, je frissonne.
J’aime…

ŒNONE

Qui ?

PHÈDRE

Tu connais ce Fils de l’Amazone,
Ce Prince si longtemps par moi-même opprimé ?

ŒNONE

Hippolyte ? Grands Dieux !

PHÈDRE

C’est toi qui l’as nommé !

ŒNONE

Juste ciel ! Tout mon sang dans mes veines se glace !
Ô désespoir ! Ô crime ! Ô déplorable race !
Voyage infortuné ! Rivage malheureux,
Fallait-il approcher de tes bords dangereux ?

PHÈDRE

Mon mal vient de plus loin. À peine au fils d’Égée
Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,
Athènes me montra mon superbe ennemi.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps, et transir et brûler.
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables.
Par des vœux assidus je crus les détourner :
Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.
D’un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait l’encens :
Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,
J’adorais Hippolyte, et le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisais fumer,
J’offrais tout à ce dieu, que je n’osais nommer.
Je l’évitais partout. Ô comble de misère !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.
Contre moi-même enfin j’osai me révolter :
J’excitai mon courage à le persécuter.
Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,
J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ;
Je pressai son exil, et mes cris éternels
L’arrachèrent du sein, et des bras paternels.
Je respirais, Œnone. Et depuis son absence,
Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence ;
Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,
De son fatal hymen je cultivais les fruits.
Vaines précautions ! Cruelle destinée !
Par mon époux lui-même à Trézène amenée,
J’ai revu l’ennemi que j’avais éloigné :
Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.
Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C’est Vénus toute entière à sa proie attachée.
J’ai conçu pour mon crime une juste terreur ;
J’ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur.
Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire;
Et dérober au jour une flamme si noire :
Je n’ai pu soutenir tes larmes, tes combats ;
Je t’ai tout avoué ; je ne m’en repens pas,
Pourvu que de ma mort respectant les approches,
Tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches,
Et que tes vains secours cessent de rappeler
Un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler.